Accommoder dites-vous? 恵美
Les contes pour enfants sont souvent d'une grande cruauté. Plus on y accumule d'horreurs, mieux nos chérubins dormiront après les avoir écoutés.
Souvenez-vous de la belle au bois dormant. Je vous parle ici du conte de Charles Perrault et non d'un remake par des émules de Walt Disney... La belle est réveillée par un baiser du prince puis ils se marient. Devenus roi et reine, ils ont deux beaux enfants, la princesse Aurore et un fils qu'ils nommèrent Jour.
Dans la version originale, l'histoire ne s'arrête pas là.
« Quelques temps après, le roi alla faire la guerre à l'empereur Cantalabutte, son voisin. Il laissa la régence du royaume à sa mère, et lui recommanda fort sa femme et ses enfants ». Je vous rappelle que cette mère - la belle-mère de la belle au bois dormant - a des goûts d'ogresse...
« Un soir, elle dit à son maître d'hôtel :
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Je veux manger demain à mon dîner la petite Aurore.
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Ah! Madame! dit le maître d'hôtel.
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Je le veux dit la reine (et elle le dit d'un ton d'ogresse qui a envie de manger de la chair fraîche), et je la veux manger à la sauce Robert »
C'est le genre de passage que les enfants adorent. Ils frissonnent mais en redemandent. Pour moi qui découvrais l'histoire en même temps que mes enfants, mon intérêt a été alerté par cette sauce Robert que je ne connaissais pas encore et par les pasages suivants.
En effet, le maître d'hôtel est un brave homme. Il n'a aucune intention de tuer les enfants mais il ne peut pas non plus désobéir à sa terrible maîtresse. Il doit donc la tromper par un artifice culinaire.
« Il alla dans la basse cour pour couper la gorge a un petit agneau, et lui fit une si bonne sauce, que sa maîtresse l'assura qu'elle n'avait jamais rien mangé de si bon. »
Si vous n'avez pas bien suivi l'histoire, Charles Perrault se charge ensuite de mieux vous en expliquer la problématique, car huit jours plus tard, la reine veut manger le petit Jour...Comme ce garçonnet n'a que trois ans, il ne peut avoir le même goût que sa soeur. Le maître d'hôtel prépare alors « un chevreau fort tendre, que l'ogresse trouva fort bon. »
Il vous faut encore un dernier détail pour bien comprendre? Qu'à cela ne tienne... Le maître d'hôtel doit maintenant tuer la Belle au Bois Dormant. Le problème devient de plus en plus ardu :
« La jeune reine avait 20 ans passés, sans compter les cent ans qu'elle avait dormi : sa peau était un peu dure, quoique belle et blanche ; et le moyen de trouver dans la ménagerie une bête aussi dure que cela! ». Craignant de ne pouvoir tromper une fois encore sa maîtresse, le maître d'hôtel se résout à tuer la jeune reine, mais au dernier moment, il fléchit à nouveau et trouve une solution.
« Il alla accommoder une biche que l'ogresse mangea avec le même appétit que si c'eût été la jeune reine. »
Mais tout finit bien puisque le roi revient et que sa mère, l'horrible ogresse, se jette dans une cuve toute remplie « de vipères, de crapauds, de couleuvres et de serpents » qui la dévorent.
Après cette fin très morale, nos petits agneaux s'endorment sur leurs deux oreilles. D'ailleurs, ne sortons-nous pas nous aussi rassénérés du film de guerre le plus épouvantable si nous avons eu notre happy end?
J'espère que cette histoire ne vous a pas coupé l'appétit... Un peu? oui? vraiment? Ah que vous êtes sensible...
Attendez, je vous prépare un peu de sauce Robert, Je m'en vais de ce pas quérir les ingrédients. Je vous la posterai dès qu'elle sera prête...