Louise Bonne - 洋ナシのタルト
Voici venu le temps des comices, des conférences, des passe-crassane, des louises bonnes et des alexandrines. Sur les étals des marchés, leur parfum est aussi suave et entêtant que celui des lilas au printemps. J'aime les choisir une à une, les soupeser dans la paume avant de les déposer dans le panier. A la maison, elles orneront mes plateaux de fruits pendant tout l'hiver. Nous les mangerons natures ou cuites dans du vin à la cannelle, en compotes ou confites... Ah la belle saison qui commence.
Hier, je voulais justement préparer une tarte aux poires, aux amandes et au chocolat. C'est quelque chose que je réussis assez bien d'habitude, malgré les relations compliquées et conflictuelles que j'entretiens avec la pâtisserie. En visitant vos blogs, je suis étonnée de voir tout ce que vous réalisez dans ce domaine. La vanité me souffle que je pourrais faire aussi bien, mais la réalité chaque fois vient tordre le cou à mes ambitions. Jeune fille, j'aimais la précision des mathématiques et de la chimie. Femme au foyer, je ne supporte plus l'idée d'avoir à peser la farine et le sucre ou de prendre la température du beurre.. Je cuisine au jugé et dans le feu de l'inspiration.
Pourtant, cette fois-ci, je voulais pénétrer l'esprit de la recette et en suivre la lettre. Aucune fantaisie, aucune digression. J'ai réuni les ingrédients, pesé avec précision, épluché et découpé les poires, abaissé la pâte, décoré artistement, enfourné la tarte dans le four soigneusement préchauffé. Enfin j'allais produire un gâteau qui égalerait ceux de Mercotte!
Je me suis perdue dans la contemplation de ce qui se passait sous l'effet de la chaleur. J'imaginais les échanges entre la pâte et les amandes qui durcissaient et les poires et le chocolat qui fondaient. Des effluves appétissantes s'échappaient du four.
C'est à ce moment que le téléphone a sonné. L'une des mes amies de Tokyo avait vu la recette postée la veille. « Mais où trouve-t-on ces feuilles de brick? », « Et pourquoi n'as-tu pas utilisé des ...? », « Et faut-il vraiment attacher les bouts avec de la ciboulette? », « Est-ce que tu sais que Kimiko va bientôt se marier? », « Imagine-toi que son ex vient de gagner au loto... ».
Mon amie Mitchiko est au courant de tout et s'intéresse à tout. Elle est un puits de science et une mine d'informations. Elle pose les questions, devance les réponses et rebondit de sujet en sujet. Je l'écoute, béate d'admiration. Elle a tant de connaissances. Intarissable, elle passe une partie de sa journée pendue au téléphone. Elle ne s'arrête que lorsqu'une autre ligne sonne.
Mon four avait bippé plusieurs fois. J'ai tenté une diversion : « N'as-tu rien sur le feu? », « N'y a-t-il pas quelqu'un qui vient de sonner à ta porte, il m'a semblé entendre quelque chose... ». Mais rien ni personne ne peut interrompre Michiko quand elle est lancée. Certainement pas moi qui suis sa sa cadette et son obligée.
Mon gâteau a continué à cuire, à se racornir, se dessécher et noircir. Lorsqu'enfin je suis revenue dans la cuisine, elle était toute enfumée. Sur la plaque de cuisson, il restait quelques fragments calcinés.
Heureusement, j'ai la photo de mes poires. Comme elles auraient été succulentes!
P.S. Avez-vous un truc assez poli à me suggérer pour interrompre quelqu'un au téléphone?